En principe, je
devrais débuter par un «chhhhuttt!», la superstition voulant que, par bord ici,
une femme garde secrète la nouvelle de sa grossesse - du moins au tout début -
question de ne pas faire courir au fœtus le risque d’être mangé par des
jalouses de son sort. A moins que la
porteuse ne soit une « Matlòt » voulant donner paillettes à la
conjointe légitime, mais stérile.
Ah la disgrâce de
ne pouvoir concevoir! La société ne vous donnera pas une chance! Entre «Kilè w ap
fè bèl maladi?» ou «Kòman, ou pa p banm souke?» les curieux oublient ou
ignorent que la grossesse n’est pas une maladie, et un bébé n’est ni un
tchatcha ni un asson!
Etre infertile dans
un pays où la stérilité est perçue comme un madichon est particulièrement pénible,
même pour une femme cultivée, évoluant dans un entourage tout aussi éduqué (ou
plus hypocrite ou diplomate). Nul besoin de vous dire ce que peut vivre une
victime à tête faible devant subir, en plus du stress de l’entourage, des
pressions de son compagnon. Et savez-vous que certains hommes refusent
catégoriquement de se faire examiner? C’est tellement plus pratique de rejeter
le blâme en face!
Parlant de madichon,
savez-vous aussi que certaines femmes, les yeux secs comme une queue de pain,
simulent une grossesse en vue de péter un compagnon, leur entourage, un fidèle pourvoyeur? Certaines autres même même même, tellement
obnubilées par le désir d’être mères, finissent par faire une grossesse
nerveuse, avec tous les symptômes d’une grossesse normale. Dans tous les cas,
au lieu de gagner du ventre, elles tendent plutôt à perdre la boule! Et le
pire, c’est qu’elles veulent absolument embarquer tout le monde dans leur
conclusion qui tient soit du folklorique, soit de l’illégal ou de la
superstition : elles sont en perdition!
En principe, elles
prennent en premier lieu le chemin qui mène à un docteur. J’ai pris le même
chemin, mais pas pour les mêmes causes : je recueille des informations en
vue de mieux comprendre cette soi-disant maladie qu’est la perdition.
En tant que
scientifique, le gynécologue sait que le phénomène de la perdition est
impossible et va expliquer à ces patientes-là, dans des termes qu’elles
pourront comprendre, qu’il doit certainement s’agir d’un dérèglement hormonal
(pas de règles, mais pas de grossesse pour autant.) Explication claire et
logique, mais allez donc faire entendre raison à une femme qui vous dit que
cela fait maintenant deux ans que l’enfant est dans son ventre, et qu’il bouge
sans jamais vouloir prendre le chemin de la sortie.
Prenons comme
échantillon trois catégories de patientes.
Premièrement, la doublement-déréglée,
cette femme aksyonè, parfaite comédienne, qui sait bien propre que sa grossesse
est une pure invention, et son seul recours, en vue de continuer à se faire
‘occuper’ par un conjoint à l’étranger, ou pour s’épargner la fureur de l’amant
sur place à qui elle fait croire qu’elle est en perdition de l’enfant du conjoint
précédent. Infidélité doublée d’hypocrisie, quand tu nous tiens…
Segundo : la
patiente névrosée, souvent appuyée par son conjoint qui met également la
pression sur le médecin, frisant la folie à force de vouloir un enfant. Le docteur
n’arrive pas à lui faire comprendre ou accepter le phénomène normal de
l’avortement spontané. Et s’il est trop direct dans ses explications, il finit
par perdre la patiente. Encore une perte… pour cause de perdition…
Troisième catégorie :
cette femme qui va voir un certain gynécologue, parce que celui-ci a la
réputation de travailler ‘à deux mains’. (Sans offense, je n’ai pas encore vu
de médecin manchot.) Tous les traitements ayant échoué, elle se tourne vers un ‘guérisseur’
ou un ‘pasteur’, car elle finit par croire ce que dit la superstition : le
problème de perdition ne peut être résolu que grâce à la médecine naturelle ou
traditionnelle, ou par des services de prières et de jeûnes à certaines
enseignes religieuses bien précises.
Sans dire
peut-être, le diagnostic va changer! L’homme d’église parlera de persécution ou
de dyab-rasyal qu’il faut faire tomber à grand renfort de BIW ou de KATOUCH! Le
guérisseur confirmera les causes (certaines!) de la perdition, soit une
ceinture ouverte (l’anatomie n’a pas prévu de boucle), un frédu (attention porteuses
de minijupes ou dormeuses toutounu!), une expédition (les matlòts peuvent être méchantes,
on le sait…)
Les superstitions
ont la vie dure, c’est connu. Oui, Madame ne veut pas démordre et confirme
le diagnostic des ‘mystiques’ : elle est bel et bien enceinte, mais est
victime d’agressions magiques, ou encore un vent a pénétré en elle…? Ose-t-on afficher
une mine perplexe ou une moue dubitative quand elle tient pareils propos ?
Ooops! On est l’objet de son courroux.
Le meilleur gynécologue
ne pourra certainement rien faire pour la patiente de la première
catégorie : le mensonge éhonté est plus grave que le déni. Celle de la
deuxième catégorie a une chance de se ressaisir, si elle persévère avec le
toubib.
Mais celle de la
troisième? Hmmm. Quelle est cette affaire de perdition suite à un frédu causé
par un vent qui est entré à l’intérieur de la dame mezanmi? Attendons les résultats du traitement! A
l’accouchement, si c’est bébé qui parait effectivement, nous boirons toute notre honte à la santé de saint Thomas. Mais
s’il ne sort que du vent (celui qui était entré), nous murmurerons :
« Pet à son âme… »
Sister M*
Commentaires
Enregistrer un commentaire