En me garant devant une pharmacie à Pétion-Ville, je suis
abordée par un « chaussériste », ou un « Bétonniste »,
si vous préférez. Fait habituel, courant, régulier jusqu’à être normal.
D’ailleurs si une seule journée se passait sans qu’on
soit sollicité par l’un d’eux, il faudrait commencer à s’affoler. En
effet, si cette catégorie de citoyens disparaissait de la surface du pays, il y
aurait un tel vide qu’on pourrait risquer d’entendre l’écho de tous les sons
qu’on émet.
On connait déjà le langage : « Nous sommes sur le
béton-an oui láááá ». Et récemment j’ai eu droit à un ‘c’est nous oui les
fils de la chaussée!’ Je passerai outre la multitude des termes qui
servent d’appellation, tels maman bon cœur, mère de base (y aurait-il un père
de surface ?), notre affaire, artiste du pays, maman de la
jeunesse, etc.
Je suis madame tous les produits pour lesquels j’ai fait une
publicité ou manman telle ou telle émission à laquelle j’ai participée. La
nouvelle appellation est Tatie peup la! Mezanmi!
Déjà que c’est carrément impossible de trouver à se garer dans
cette commune, choisir de rester calme et zen quand on est envahi de
rejetons dont on ignore la date à laquelle on les a poussés relève carrément du
défi. Le calme prévient de grands maux, houssaaaaahh. Deux ou
trois vous aident à réussir votre parking par marche arrière, comme si vous
veniez de passer votre permis et n’aviez acquis encore aucune expérience dans
le faire back. L’un va même jusqu’à frapper votre vitre – ô énervement sonore
suprême – pour vous faire stopper, comme si le rétroviseur ne vous montrait
rien à l’arrière.
Extravertie, tous mes sentiments s’affichent ‘live’ sur le grand
écran percé de deux trous de beauté qui me sert de visage. Le saisissement est donc
flagrant, et le sollicitant, sarcastique, me demande carrément,
avec ce ton ironique des bredjenn : « Qu’est-ce qui t’étonne
lààà ? » Parce que je t’ai demandé de me faire brûler un chalom? Ce
n’est rien non que je te demande là, l’argent n’a pas de valeur dans ce pays et
puis tu viens prendre la pose d’être saisie « lààà, tchuippss ».
Non mais des fois! Il faut définitivement que je fasse une
révision de ma binette! Ai-je la tête d’une espèce sonnante et trébuchante
moi-même? Les lecteurs détracteurs doivent bien ricaner maintenant en disant
que la Sister porte souvent des bijoux « klenklen » et lourds, donc
elle est bel et bien sonnante. Mais ouiiiii ! Et puis
certainement avec mes talons « meeenn hauuuteuuur », je cours
sans cesse le danger de trébucher en descendant du véhicule. C’est
donc pourquoi le « bétonniste » m’a prise pour de l’argent
liquide.
En passant, lorsqu’on vous parle d’espèces sonnantes
et trébuchantes, cela n’a rien à voir avec le son des adoquins ou notre gourde
non, qui trébuche sans arrêt. Autrefois, on constatait la pureté d’une pièce
sur la qualité du son qu’elle émettait en la faisant résonner sur une
surface dure – plus une pièce sonnait et plus elle était pure. Un
trébuchet était une petite balance à plateaux servant pour la pesée de
petits poids comme de l'or, de l'argent ou des bijoux. Une pièce trébuchante se
disait d'une pièce dont on avait pu constater qu'elle avait le poids requis
après qu'elle a été «trébuchée», c'est-à-dire pesée sur un trébuchet.
Pendant que nous trébuchons, l’iinflation même même monte
plus haut encore. Un mendiant réclame un chalom oui! Vous vous rendez
compte, si j’avais fait le vœu de donner la charité à dix personnes
par jour. A ce tarif, j’étais banane oui?
Si l’argent n’a pas d’odeur, pour certains il a une
douleur : celle provoquée par bourriquer et suer. Bon, pour
être objective, je dois dire que ces individus suent aussi, vu qu’ils
choisissent de rester dans la rue au soleil pour faire leur métier.
Et que dire de ceux, podyab, qui doivent creuser leurs méninges
pour trouver des tournures les unes plus mensongères que les autres, afin de
toucher votre cœur sensible? Là nous ne sommes plus dans le parking, mais en
face, à l’intérieur de l'église où se déroule le service funèbre qui requiert mon humble
présence en ces lieux.
Habillée de pied en cap, cette bonne dame-là est trop heureuse
de me revoir (je ne l'ai jamais vue de ma vie) et me dit honnêtement n’être
venue par bord ici que pour rencontrer Untel qui devait la gérer. Et puisque le
gérant ne s’est pas manifesté, eh bien jouet pour toi. Hein? Jouet pour moi
dans quoi? Je ne vais quand même pas disputer un match, même amical, perchée
sur ces cruels accessoires féminins que sont les talons kikit,
qui me font monter des larmes aux yeux (au moins le lieu et l'ambiance s’y
prêtent, et il faut bien soutenir un certain protocole). Donc de toutes
les binettes qu’il y a là, bien costumés, c’est ma tête qui a la forme d’une
alouette! Arrière de moi, plumeurs sans cœur et sans gêne!
Ah ! Si l’Etat voulait bien taxer les mendiants
ingambes et bien portants… Un ministère de plus ne nous ferait
pas plus de tort : de vous à moi, pourquoi pas
un ministère pour lutter contre l’extrême mendicité?
Sister M*
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