Elles ne reçoivent jamais de fleurs
dans leur vivant. Mais, certainement à leurs funérailles certaines d’entre
elles recevront au moins une gerbe naturelle ou artificielle. Elles ne
connaissent pas les loisirs de restaurant, de cinéma, de plage, d’excursion, de
tournées, de concerts… Leur seul loisir c’est d’être pensives et tristes en se
voyant impuissantes devant les souffrances de leurs enfants, devant leur crime
d’être. Malgré elles, elles prennent plaisir dans leurs larmes. Le seul loisir
qu’on leur offre pour leur abnégation est parfois une bonne raclée physique ou
verbale. Cette offre vient parfois d’un homme en miniature qui se fait appeler
« mari », d'un autre bossale ou d'une vermine à queue, ou de leurs propres
enfants.
Devant le lot qui leur a été assigné,
elles font tout pour nourrir leurs enfants, des enfants parfois qu’on les
impose d’avoir : _« l’homme est le chef de la femme… la femme n’a pas
d’autorité sur son propre corps »,_ des textes sacrés souvent mal
interprétés. Elles sont dans les champs, ce, souvent sous le feu brulant du
soleil.– Elles vendent dans les marchés sous des masses boueuses puantes, sous
des tas d'immondices et de selles - c’est également au même etndroit qu’elles
doivent prendre leur repas de rue, dans l’attente de rentrer à la maison.–
Elles sont dans les mines.– Elles sont dans les dépotoirs. Elles cherchent le
pain quotidien en explorant les poubelles.– Elles sont dans les industries, là
où elles reçoivent toutes sortes de traitements infrahumains. Elles n’ont aucun
de droit de répliques aux injures. Elles doivent faire de leur raison un tort
afin de conserver leur misère dans ces industries, sinon elles crèveront. Même
si leurs patrons les frappent, elles n’ont pas le droit de porter plainte car
ce sont eux qui contrôlent l’appareil judiciaire.– Quand elles se font femme de
ménage, c’est presque la même situation que dans les industries. Certaines
fois, dans ces familles qu’elles servent, elles ne sont pas propriétaire de
leur propre vagin.
Elles ne dorment pas immédiatement à
la tombée de la nuit. Elles ne dorment que quand elles finissent de
réfléchir sur la dure journée d’hier, la rude journée d’aujourd’hui et la
pénible journée de demain. Elles ne se perdent jamais dans un sommeil profond,
car au moindre bruit ou moindre cri de leurs enfants, elles doivent savoir ce qui
ne va pas et réagir en conséquence. Le matin, elles se réveillent avant tout le
monde. Après avoir dit bonjour au Créateur ou à la Création, la première chose
qu’elles font est ceci : elles prennent leur sens de l’honneur et leur dignité,
elles les cachent quelque part où personne ne peut les leur enlever, puis
partent à la recherche du pain quotidien ou l’attendent, parfois vainement. Le
soir venu, avant de dormir, elles les reprennent juste pour la nuit. Elles ne
les ont pas toutes les nuits - certaines fois, contre leur gré, elles doivent
héberger un pénis. Chaque jour c’est le même exercice : cacher leur sens de
l’honneur et leur dignité le matin et les reprendre le soir, quand c'est
possible.
Leurs sous-vêtements et leurs
vêtements les plus élégants sont ceux qui cachent le mieux leur nudité, qu’ils
soient la robe ou le morceau de tissu qu’elles portent tous les jours. Elles
refusent les accès aux soins de beauté juste pour pouvoir répondre aux besoins
primaires de leurs enfants. Elles n’ont recours à l’Hôpital que quand la
médecine traditionnelle, les écorses et les feuilles ne les répondent pas.
Quoiqu’elles se rendent aux hôpitaux, ce sont les forces de la nature qui
doivent exécuter les prescriptions des soignants pour elles. Elles refusent l’hospitalisation,
elles préfèrent souffrir chez elles, de manière à ce que leurs enfants ne
souffrent pas de faim sans leur présence, parfois absente.
Certaines d’entre elles ne peuvent
décoder l’alphabet, elles ne peuvent pas lire, mais elles font réciter leurs
enfants. Elles ont leur propre formule de récitation des leçons : si tu
marmottes, tu ne connais pas la leçon. Elles sont géniales ! Parfois leurs
enfants ont honte d’elles, cependant elles sont toujours fières d’eux, qu'ils
soient psychopathes ou exclus.
L’insécurité et les autres troubles
sociaux ne les disent rien quand il s’agit de répondre à une obligation de
famille.
Elles parcourent des kilomètres à
pieds, sous la pluie, dans le vent, dans le froid, dans le chaud.– Dans
leur sourire et leur regard, la souffrance brille de mille feux. Mais la
souffrance ne les fait pas peur. Ce sont elles qui font peur à la souffrance.
Elles l’effraient et la font courir. Haut et fort, elles crient la fierté de
leur être, même si aucun son ne sort de ces cris.
Elles n’utilisent pas les réseaux
sociaux, mais donnent à leurs enfants les moyens de les utiliser. Elles sont
dans l’extrême Sud mais bourriquent constamment sans se lasser pour que leurs
enfants soient au Nord.-
Jean Carmy Félixon
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