Au lendemain même
de la ratification de son premier ministre, le président Jovenel Moïse prend un
arrêté qui fait injonction à tout organisme public de publier dans le journal
officiel le Moniteur toutes subventions octroyées, de quelque nature que ce
soit, avec leurs montants, les noms des bénéficiaires, y compris les motifs
clairement définis des transactions. Au-delà des désaccords qu’on peut afficher
contre cette équipe, par qu’estampillée du label d’une continuité regrettable,
il faut tout de même analyser la
démarche qui sous-tend une telle mesure administrative.
En effet, la
rubrique-Subvention insérée dans le budget devrait s’inscrire dans un schéma d’apaisement social. C’est à dire, destinée à apporter des réponses immédiates à
des nécessités ponctuelles, comme l’allocation familiale, le financement de
petits projets de quartier, subventions de livres scolaires, de produits
pétroliers etc. A mon sens, cette question qui n’est pas proprement haïtienne
peut expliquer dans un sens plus large la démarche paternaliste de l’Etat.
Cependant, la
question de subvention de l’Etat se
révèle l’un des facteurs encourageant et
facilitant le népotisme et la corruption
dans l’administration publique haïtienne. Car, souvent les fonds destinés aux
subventions, en raison de leur non règlementation, font l’objet d’utilisation
abusive, déloyale, et partisane, au sens que des hauts cadres de l’Etat en trouvent un vrai faux -fuyant pour soudoyer
journalistes, parlementaires, militants politiques, ou pour faire des présents à des concubines, des
parents etc. Le plus souvent, pour s’échapper à la rigueur de la compatibilité
publique, on fait passer ces transactions dans la plus grande opacité, sans possibilité
de traçabilité. On a beaucoup d’exemples dans l’histoire récente du pays qui
apportent des témoignages vivants à ce sujet. Retenons entre autres l’affaire
de Erick Léandre et celle de Sandro Joseph, respectivement anciens directeurs
de l’OAVCT et de L’ONA qui avaient passé plusieurs années en prison pour avoir dilapidé
des fonds publics, sur la base de subventions non fondées accordées à des
journalistes, parlementaires, ministres et même à d’ancien Président de la République.
L’exemple le plus récent c’est celui du RNDDH, grand défenseur patenté de la
morale républicaine, qui aujourd’hui, tombe dans la même ignominie, celle de recevoir une
subvention jusqu’ici non justifiée du BMPAD. Scandaleux! D’autant plus que l’un
des responsables de cette structure de défense de droits humains a déclaré
n’avoir jamais reçu de subventions en provenance d’organismes nationaux.
Passons ! Mais retenons, pour l’essentiel, que cette question de
subvention de l’Etat représente un cercle
vicieux composé de démagogues, qui par une chaine de complicité, alimente
corruption et népotisme à tous les niveaux de l’administration publique,
tel une échappatoire pour racketter l’Etat, un Etat déjà en manque de ressources
financières.
Ainsi, l’arrêté de Jovenel Moïse devrait-il
aider au redressement de la situation. S’il
est effectif, cet arrêté devra faciliter
une meilleure gestion de la question des subventions. Car, il existe trop
d’embrouilles dans cette opération au niveau
des organismes publics. Cette mesure
devrait surtout couper court aux appétits
gloutons de certains parlementaires et journalistes qui ne cessent de faire du chantage à des ministres et directeurs
généraux, d’arpenter les couloirs des ministères à la recherche de subventions.
Cet arrêté qui exigerait une certaine transparence, indispensable à une bonne
gouvernance, devrait pour le moins casser l’élan pervers de ces personnes qui
utilisent des manœuvres futées, comme créer des organisations fantômes et des projets
fictifs, dans l’unique dessein de faire de l’argent. Il faut vraiment que cela
cesse, car les subventions de l’Etat
doivent répondre à des nécessités réelles. Elles ne doivent pas être un moyen
pour un groupuscule de s’enrichir avec des deniers de l’Etat. Il y’a des normes
de procédures en terme de subventions. Il faut bien que désormais ces normes
soient générales, et donc appliquées à tous les niveaux. Indistinctement. Même
la présidence qui d’ailleurs fait souvent des largesses outre mesures ne doit
pas être exempte de l’application de l’arrêté. C’est à ce niveau de généralisation
que l’on peut prendre au sérieux une telle décision.
Néanmoins, ce
serait de l’infantilisme intellectuel d’assimiler cette mesure à une action de désintéressement
du pouvoir en place, parce que vraiment déterminé à combattre la corruption.
Non il ne faut pas être dupe. A cet effet, il faut prendre en considération la thèse
de jeu ou de réponse politique avancée par certains pour expliquer le mobile
d’une telle décision. En effet, l’arrêté
est pris sans aucune forme de procès immédiatement après la ratification
du premier ministre Jack Guy Lafontant. Soulignons que des parlementaires
avaient conditionné la ratification de monsieur Lafontant à des négociations
politiques. Or, ici, ce thème a tout un poids de signification dans le champ sémantique
politique. Qui dit alors négociation politique, dans le contexte parlementaire
haïtien, dit tout carrément partages de postes ministériels ou de prébendes. Et
dans la foulée des négociations, le parlement a presque tout raflé, écartant
toute emprise réelle du président de la République sur le gouvernent. Un bon
coup pour les parlementaires ! Mais à malin, malin et demi. Jovenel Moïse
rentre dans le jeu politique et déplace aussi ses pions. Son arrêté serait une réponse
politique pour empêcher le jaillissement glouton de ces parlementaires qui s’apprêteraient
à transformer les ministères requis en territoire conquis. La réaction est
compréhensible : « vous avez les postes demandés, et moi j’ai
votre contrôle, en pouvant faire exposer
vos bourdes et vos fourberies au grand jour ». Ces députés et sénateurs
doivent maintenant se retrouver dans l’imbroglio de demander subventions et
autres faveurs non fondées de peur que
leurs transactions ne soient rendues publiques. Ils devraient savoir par cette
réponse que leur fonction est de surveiller le gouvernement et de légiférer
mais non de faire de racket au nom des populations qui les avaient élus. En
revanche on pose la question si tous les ministres émanaient de la volonté du
PHTK, Jovenel Moïse aurait-il pris cet arrêté. En fait, même si on n’a pas la
moindre foi en une résolution définitive du problème, mais le jeu politique
peut se révéler très significatif face à cette problématique.
En tout cas, on
fait la concession que l’arrêté de Jovenel Moïse a tout son mérite, en termes
factuels, face à cette pratique de
subvention qui ne manque pas de détruire
le trésor public haïtien. Mais le plus important reste et demeure sa mise en application. Par
contre, si ce n’est une simple stratégie politicienne en réponse à une
situation politique bien spécifique, l’on dira alors que la démagogie ne pourra
jamais pallier à la démagogie. Car, la lutte contre la corruption ne doit pas
se résumer à un simple arrêté, mais doit plutôt s’inscrire dans un projet de
structuration et de réforme institutionnelle. Néanmoins, doit-on se demander
perplexe si, bien au-delà de cette
stratégie de réponse politique, l’arrêté ne serait-il pas destiné non plus à
une fin bien spécifique, celle de participer à sauver l’image d’un
président inculpé dans un dossier de
corruption ?
John Wesley DELVA
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