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La table est desservie pour certains
jeunes. Pas n'importe qui: ceux qui détiennent des diplômes, qui sont bien
formés. À ce stade de ce qu'on ose encore appeler la vie en Haïti, ils devaient
être entrain de faire des plans pour intégrer le marché du travail. Hélas : ils
se tournent vers l'étranger !
« M prefere pase mizè nan peyi etranje !
», c'est la déclaration d'un ami, bien formé et compétent. Je me sentais
impuissant quand j'ai vu son message, lui qui ne jurait que par Haïti. Je me
sentais aussi mal, parce que c'est quelqu'un de bien. Et cela est tel, qu'il
connaît les mots de passe de mes adresses électroniques. J'ai confiance en lui.
Et c'est réciproque.
Mon ami projetait de construire sa maison
de rêve dans les hauteurs de Kenskoff, là où il profiterait tous les jours des
bienfaits de la nature, de l'air beaucoup moins pollué que celui des pays du
nord, des pays industrialisés. Il se battait et se bat encore pour la justice
sociale, car il veut éviter que d'autres jeunes, l'avenir du pays, aient à
prononcer cette phrase que lui-même prononce aujourd'hui. Hélas ! Il est déjà
trop tard. Comment voulez- vous qu'il reste moisir dans ce Pays où c'est la
médiocrité qui prime, alors qu'ailleurs il peut être accueilli à bras ouverts ?
Comment voulez-vous qu'il n'essaie pas de tenter ailleurs, quand les bandits
légaux ne travaillent que pour leurs intérêts et ceux de la bourgeoisie vorace,
inutile et méchante ? Savez- vous ce que ça fait de souffrir dans son pays ?
La situation de mon ami est celle de
milliers de jeunes, garçons et filles, de la génération d'après 86, ma
génération. Ils veulent tous quitter Haïti. Ils sont de ceux qui refusent de se
prostituer, de ramper pour un poste. Ils refusent tout simplement de vendre
leur dignité. Ils refusent de vivre à l'instar de ce docteur verbeux sans
colonne vertébrale, de ces entrepreneurs échoués, transformés en politiciens à
la recherche de miettes, et de ces journalistes qui font leur beurre, parce
qu'ils se taisent. Ces jeunes qui veulent partir, ce sont ceux-là qui ont
appris que l'argent n'est pas une vertu, mais des bouts de papiers périssables,
incapables de sauver dans beaucoup de
circonstances - le séisme du 12 Janvier 2010 l'a déjà démontré. Ces jeunes ce
sont ceux-là qui croient dans la valorisation de l'être humain.
Certains diraient que les pays du Nord
font de l'être humain un robot, mais au moins vous conviendrez tous avec moi
qu'on peut trouver du travail, nourrir sa famille, aller à l'hôpital, épargner
afin de gérer les urgences. Autrement dit, le strict minimum vital y existe. Et
il pourra espérer une pension bien méritée.
Tiens bons. Tu me rappelles un autre bon
ami. On partageait la même chambre pendant quatre ans. Il était exploité dans
un institut de recherche. Il était payé la moitié du salaire qu'il est payé
dans les rapports soumis aux bailleurs qui finançaient les recherches de cette
institution. Quand il avait tout découvert, quand il s'est rendu compte que le
pays n'est pas à la portée des jeunes, il a quitté Haïti. Et là où il est
maintenant, il n'éprouve aucun regret. A t-il raison?
Mon ami, si tu veux partir loin d'ici,
fais-le. Mais, dans de bonnes conditions. Sache que tu peux compter sur moi. Ne
crois pas que ton rêve est brisé à tout
jamais. Au contraire ! Pars, travaille, étudie, et reviens construire ta maison
de rêve à Kenskoff. Ceux qui sont au
pouvoir, leurs descendants et leurs
complices seront peut-être en prison ou déjà morts, payant ainsi pour tout le
mal qu'ils ont fait au pays, à toi, aux jeunes et à tous ceux qui sont morts
noyés parce qu'ils fuyaient la misère fabriquée et cautionnée par ces autorités
sans vergogne qui se sont succédé au pouvoir en Haïti.
25 Février 2017,
23h30
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